Voix précieuses

Voix précieuses

Les Voix de Stras 1
Elles sont six professionnelles, de diverses nationalités. Depuis 3 ans, elles forment « Les Voix de Stras’  » , mais se produisent aussi dans d’autres formations ou en solistes et chantent un peu partout dans le monde. « Un choeur de femmes, c’est plus original, plus rare qu’un choeur mixte » explique la chef.

Le concert fera la part belle à la musique contemporaine. « Pouvoir travailler avec un compositeur de son vivant, ça change tout! Et puis, les pièces ne peuvent pas encore être écoutées sur disque, ce qui laisse libre cours à la création et à l’imagination » affirme-t-elle. On l’aura donc compris, Catherine ne choisit pas la facilité et aime s’égarer hors des sentiers battus. La soirée va le prouver, tant par la perfection de l’interprétation que par l’excellence de l’exécution des polyphonies au programme.

Et d’emblée, des chants arméniens transportent l’auditoire dans un autre monde, un autre temps. Résonances médiévales, déambulations dans les musiques sacrées, l’ensemble est mélodique et apaisant. Extraordinaire prestation en solo de Gayané Movsiyan, originaire d’Arménie, portée par des murmures mélodieux qui s’éteignent doucement.

C’est à l’occasion de la commémoration du centenaire du génocide arménien que ce programme a été créé. « J’ai découvert une musique très expressive, pleine de mystère, de poésie, d’imagination, tragique quelquefois » avoue la dirigeante. Le moine Komitas, musicologue, compositeur et poète arménien du XXè siècle, a parcouru toutes les régions du pays et recueilli de la bouche même des habitants les chants du terroir. Il transcrit des milliers de mélodies, les restitue dans leur pureté originelle et constitue ainsi un trésor musical national. On se laisse bercer, emporter par ces airs qui résonnent comme une supplique, ces voix de cristal qui s’élèvent et implorent, cette harmonie de sonorités grégoriennes et ancestrales. Tout est clair, précis, limpide, envoûtant.

La découverte se poursuit avec « La messe des petits de Saint Eustache la Forêt, une oeuvre d’André Caplet, contemporain de Debussy. La musique semble monter vers le ciel, les interprètes emplissent l’espace, l’apprivoisent. Le Gloria, d’abord explosion d’allégresse, s’apaise, puis s’égrène en syllabes hachées mais qui se confondent intimement. Une page de calligraphie avec ses pleins et ses déliés minutieux…Sanctus respectueux, Hosanna gai et chantant, Benedictus solennel qui se termine par une dissonance inattendue. Les voix interpellent, passent sans peine du forte à la douceur extrême. Une page sans rature, sans tache, sans bavure !

Catherine propose ensuite « une traversée de l’Atlantique, en Amérique du Sud, où il n’y a pas de rupture entre le sacré et le profane. C’est du contemporain, mais ne vous sauvez pas, laissez-vous faire! ». « Dolorosa » d’Alberto Grau, cri de douleur d’une mère, cri qui revient maintes fois, cri clamé sur tous les registres. Elle est là, cette mère démunie, perdue, comme un condamné qui va au supplice. La douleur est lancinante, elle devient mélodie qui vous envahit et vous possède, puis s’en va se cacher.

Et pour finir, une incursion aux USA. 3 paradis et l’enfer, « Three heavens and hell » de Meredith Monk, chorégraphe qui écrit de la musique répétitive. Le titre est repris sur tous les tons, les onomatopées bizarres s’enchaînent et scandent le rythme. Les choristes chuchotent et, tout à coup, un cri meurt en vrille. Elles s’amusent avec les sons, les bruits, les vocalises, les bavardages, les mots qui se croisent et s’entrechoquent. Djembé? Musique indienne? Bruitage de dessin animé? C’est un joyeux fouillis, mais très étudié et précis! Extraordinaire !

Le public est subjugué. En cadeau, les « Voix de Stras » lui offrent « Que notre Alsace est belle », en alsacien et en français. Elle est encore plus belle maintenant !

Lucienne Fahrlaender

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