De la sexualité des orchidées (2/2)

De la sexualité des orchidées (2/2)

Il arrive qu’un insecte chargé de pollen visite d’autres espèces d’orchidées simultanément fleuries. Cette fécondation croisée donne alors naissance à des hybrides qui font les délices du spécialiste, ou les affres du néophyte ! Les orchidées sont particulièrement enclines à produire ces hybrides, d’ailleurs souvent vigoureux et féconds, au point qu’il devient parfois difficile sur certains sites de trouver des individus purs ! Il faut par conséquent de la patience, un peu d’expérience et le sens de l’observation pour les déchiffrer. Je vous propose quelques travaux pratiques, des plantes trouvées ce printemps. Grâce à la compétente dextérité de notre webmestre, vous pourrez visualiser sur un même écran les deux parents de part et d’autre, encadrant leur rejeton.

1) Ophys litigiosa x Ophrys fuciflora (le signe x signifie croisement ou hybride). Ophrys litigiosa (= araneola = petite araignée) est l’orchidée la plus précoce d’Alsace, elle fleurit dès fin mars – début avril, mais en des stations très limitées. Ce printemps, nous en avons dénombré quelques dizaines sur la colline de Sigolsheim (très riche par ailleurs). Ophrys fuciflora (= bourdon) est plus commune. Elle fleurit certes assez nettement plus tard, mais les deux floraisons peuvent néanmoins se chevaucher, comme en témoigne cet hybride. Celui-ci a hérité de fuciflora les 3 sépales colorés et la forme étalée, de carrée à trapézoïdale, du labelle, ainsi que l’appendice à l’extrémité de celui-ci. De litigiosa, l’hybride possède la bordure jaune du labelle, les 2 pétales verdâtres ainsi que la macule (tache sur le labelle) en forme de H grossier. (photos 1 à 3)

2) Orchis purpurea x Orchis militaris. Ce sont là 2 orchidées assez courantes en Alsace, pourpre étant néanmoins plus disséminée. La forme générale de leurs fleurons est assez proche et leur floraison coïncide, favorisant ainsi leur hybridation. Les 3 fleurs ici reproduites poussaient à quelques mètres de distance sur le site bien connu du Rangenberg de Dorlisheim. L’hybride a repris de pourpre le casque de cette couleur (celui de militaire est blanc) et une forme assez trapue, en particulier dans la largeur des « jambes ». On reconnaît la paternité de militaris dans la silhouette générale en forme de « bonhomme », ainsi que par les nombreux pigments saillants et très colorés sur le labelle-tronc (photos 3 à 6)

3) Ophrys sphegodes x Ophrys insectifera . Ophrys sphegodes (= aranifera = araignée) est la cousine de litigiosa, mais fleurit nettement plus tard et sur des sites essentiellement rhénans (Taubergiessen en particulier), très rare ailleurs. L’Ophrys insectifera (= moche, en raison de son allure générale et de ses « antennes ») est assez rare sur les collines et le long du Rhin. L’hybride présente une silhouette assez massive, proche de celle de sphegodes, dont il a également hérité la macule en forme vague de H. D’insectifera, il possède les pétales en forme d’antennes et les loges des pollinies de couleur rouge vif .(photos 7 à 9)

4) Orchis simia x Orchis militaris . L’Orchis simia (= singe en raison de son allure dégingandée rappelant le singe atèle) est une rareté en Alsace. Absent du Bas-Rhin, il est confiné sur quelques collines du vignoble, et surtout au cimetière militaire allemand d’Illfurth entre Mulhouse et Altkirch. Militaris, nous l’avons déjà signalé, est beaucoup plus commune. A Illfurth , ce sont des centaines d’exemplaires de chacun qui croissent en mélange, au point qu’il est souvent difficile de savoir qui est qui ! L’Hybride a repris de militaire son allure générale élancée et conique, le fait d’éclore du bas vers le haut (contrairement à simia qui est la seule orchidée à débuter sa floraison par le sommet). L’influence de simia se retrouve ici dans les « membres » des fleurons, bras et jambes sont très effilés et recourbés en tous sens. (photos 10 à 12)

5) Ophrys sphegodes x Ophrys fuciflora . Nous avons déjà présenté les 2 parents respectifs. L’hybride a hérité de fuciflora – bourdon son périanthe (sépales + pétales) rosé, quoique teinté de vert comme celui de sphegodes, la forme assez large et étalée du labelle et le bien visible appendice jaune. De sphegodes, on retrouve les pétales aux bords ondulés, la couleur brun-rouge du labelle et la macule glabre reprenant grossièrement la forme de H. (photos 13 à 15)

6) Ophrys insectifera x Ophrys fuciflora . Là aussi, vous connaissez déjà les parents. L’hybride a repris de fuciflora le périanthe rosé (il est vert chez insectifera), et un labelle nettement plus trapu que mouche qui est assez filiforme. De l’autre parent, insectifera, l’hybride a hérité les « antennes », la couleur brune du labelle et la macule bleutée en position centrale sur le labelle.(photos 16 à 18)

La détermination des hybrides s’apparente un peu à un puzzle, vous l’aurez remarqué… il est vrai que certains naturalistes, botanistes ou orchidophiles sont des grands enfants !