De la sexualité des orchidées (1/2)

De la sexualité des orchidées (1/2)

Dans un précédent article, je vous ai présenté une quinzaine d’espèces d’orchidées que l’on peut simultanément trouver en fleurs en Alsace ou au proche Pays de Bade, et bien sûr à Breitenbach et dans le Val de Villé. Avec ce quasi-été très précoce, leur floraison touche à sa fin. Avant de clore ce chapitre et de revenir dans notre village préféré, permettez-moi de vous apporter un éclairage sur le monde fascinant de leur reproduction, aussi varié et complexe que peut l’être la fleur elle-même.

Les orchidées ont toutes une espérance de vie de plusieurs années, et resurgissent par conséquent chaque printemps à partir de leurs bulbes souterrains. La fleur doit néanmoins songer à se reproduire et à assurer sa descendance, n’étant pas éternelle par elle-même. La reproduction des orchidées de nos latitudes est extrêmement diversifiée. Certaines d’entre elles développent chaque année un nouveau bulbe qui donnera naissance à la plante de l’année suivante, d’autres développeront des systèmes racinaires semblables à des stolons, ce qui donnera l’impression à l’observateur attentif que la plante se déplace quelque peu d’une année à l’autre, certaines produisent même des bulbilles sur leurs feuilles ! La très rare et minuscule (5 cm) Lipais loeselli, disparue d’Alsace et trouvée à Ichenheim au Pays de Bade (photos 1-2) ne pousse qu’en milieu marécageux et produit chaque année un « pseudo-bulbe » presque émergé qui, emporté par les eaux, s’en va germer quelques mètres plus loin au printemps suivant, du moins si les conditions lui sont favorables !

Les orchidées indigènes, pour la plupart d’entre elles, se reproduisent néanmoins par voie sexuée, comme la majorité des plantes à fleurs. C’est par exemple le cas des Céphalanthères. La grande et belle damasonium  (photos 3-4) fructifie régulièrement alors que ses fleurs sont rarement ouvertes aux insectes, elle s’autoféconde à l’intérieur de sa fleur fermée (cleistogamie). Sa cousine longifolia, largement présente à Breitenbach, s’épanouit davantage (photos 5-6) et est donc fréquemment fécondée par les insectes. Un autre exemple bien connu d’auto-fécondation (ou autogamie) est celui d’Ophys apifera (=abeille), belle orchidée facile à reconnaître de par son périanthe (pétales + sépales) rejeté en arrière et à ses « oreilles » (gibbosités) très velues (photo 7). Comme chez tous les Ophrys, le pollen est aggloméré sous forme de deux pollinies, boules de pollen compactes et collantes, suspendues sous le casque (photo 8). Chez apifera, ces pollinies sortent de leurs loges et se replient pour venir au contact direct du stigmate, l’organe femelle (photos 9 à 11).

La majorité des orchidées ont toutefois recours aux services des insectes (parfois exclusifs) pour assurer leur fécondation. Pour ce faire, elles développent des stratégies complexes : production de nectar dans leur éperon pour attirer les butineurs, labelle prenant la forme et les teintes de l’insecte femelle, émission de substances odorantes proches des phéromones émises par ces insectes. En prélevant le nectar, l’insecte se charge également de pollen qu’il déposera sur une autre fleur et qu’il pollinisera. Parfois, le mimétisme va beaucoup plus loin. Le jeune insecte mâle, fraîchement éclos avant sa femelle et encore inexpérimenté, prend réellement le labelle de l’orchidée pour une future compagne et opère sur elle une « pseudo-copulation », pendant laquelle il se charge évidemment de pollen. Cette pseudo-copulation sera soit céphalique, soit abdominale, selon le sens de la disposition des poils qui garnissent le labelle de l’orchidée ! Nous avons eu le privilège d’observer et de photographier le dimanche 22 mai deux pseudo-copulations d’abeilles sauvages dans la région de Rhinau , l’une sur… apifera (photos 12-13), l’autre sur fuciflora (bourdon) (photos 14-15). Ce secteur de prairies ello-rhénanes est d’ailleurs particulièrement intéressant pour les orchidophiles, nous y avons trouvé ce même jour le très rare Orchis palustre (photos 16-17) quasi disparu d’Alsace, ainsi que l’Iris de Sibérie (Iris sibirica), magnifique fleur bleue (photos 18-19), également devenue très rare dans les milieux humides et marécageux du Ried.

Lorsque la reproduction est réussie, en autogamie ou via les insectes, l’orchidée produit une ou des capsules fructifères (ici sur un Orchis mâle à Breitenbach, photos 20-21) qui, après quelques semaines de maturation et dessiccation, se fendillent pour libérer des dizaines de milliers se graines éparpillées par le vent… À suivre…