21 Mai Escapade Transfrontalière
La dernière fois, nous avions déjà quelque peu délaissé notre cher petit village gaulois pour nous hasarder un peu plus loin dans la vallée. Aujourd’hui, je vous propose carrément le grand saut, en prenant comme alibi les orchidées dont c’est la pleine période de floraison. Celle-ci est d’ailleurs un peu frustrante, car en raison des chaleurs persistantes et inhabituelles, nombre de plantes sont plutôt chétives et fanent souvent même avant d’être entièrement fleuries.
J’ai déjà eu l’occasion de vous le signaler, l’Alsace est riche d’une cinquantaine d’espèces indigènes, sans compter les hybrides auxquels nous consacrerons un texte ultérieur. L’orchidophile, le naturaliste ou le simple promeneur n’ont que l’embarras du choix pour définir leur destination. Parmi les sites les plus intéressants, on citera, du Nord au Sud, le Bastberg de Bouxwiller (où notre cher Maire fit ses premières explorations), le Goeftberg tout près du grand émetteur télé de Marlenheim , le Jesselsberg sur les hauts de Soultz à Mutzig , le Rangenberg de Dorlisheim et ses raretés, le Bischenberg , la colline de Bergheim , les hauts de Sigolsheim (y compris le cimetière), les collines jumelles du Strangenberg et des Zinnkoeple au-dessus de Westhalten et Soultzmatt, le fameux Bickenberg d’Osenbach , le remarquable site du cimetière militaire d’Illfurth , sans compter les secteurs montagneux du Stauffen aux crêtes vosgiennes et, pour finir, certaines zones humides remarquables (glaisière de Guéwenheim , Rieds , prairies rhénanes). Vous aurez peut-être l’occasion ou la curiosité d’explorer ces secteurs, surtout d’avril à juin lorsque les orchidées y fleurissent.
Aujourd’hui, j’aimerais toutefois vous faire découvrir deux autres stations tout à fait remarquables situées dans le tout proche Pays de Bade. Le TAUBERGIESSEN se situe le long du Rhin ; cette vaste étendue se partage entre prés de fauche, haies et bosquets ainsi que d’anciens bras du fleuve remis en eau. Cet espace possède la particularité de se situer en territoire allemand, mais appartient à la commune française de Rhinau , dont les agriculteurs viennent exploiter les prairies. Celles-ci sont soumises à un cahier des charges environnemental (fauche tardive, non-engraissement, non-retournement…) pour préserver leur intérêt. L’accès au Taubergiessen s’effectue simplement par le bac (gratuit) de Rhinau. On pourra stationner quelques centaines de mètres plus loin à droite, près d’une vieille bâtisse appartenant à la commune de Rhinau. De là, il suffit de longer (à pied ou à vélo) la digue qui constitue en elle-même un site de premier ordre pour sa richesse orchidologique. En fond de site, quelques prairies maigres se révèlent également riches, quoique moins denses.
Le KAISERSTUHL est un petit massif volcanique né au moment de l’effondrement de la Plaine d’Alsace (Miocène à l’ère Tertiaire, – 5 millions d’années). Il culmine à 557 m au Totenkopf (antenne télé) entre Colmar et Fribourg. On y accède aisément par le pont de Brisach puis, après Ihringen , en empruntant une petite route fléchée jusqu’à Liliental où un restaurant – maison forestière donne accès à un important domaine forestier appartenant au Land de Bade-Wurtemberg, aménagé pour l’accueil du public, mais aussi pour des plantations d’essai une collection – arboretum, dont une forêt de séquoias (Mammuthbaüme), implantées pour l’essentiel sur de vastes terrasses accrochées à flanc de montagne. Les prairies et sous-bois, bien entretenus de manière extensive, regorgent d’orchidées par centaines de milliers et même un oeil néophyte n’aura aucun mal à les dénicher !
Nous avons exploré sommairement le Taubergiessen et Liliental ce dimanche 8 mai, symbole de la réconciliation franco-allemande. Je vous livre ci-après la liste et les photos de nos découvertes du jour.
- Listera ovata (la Listère ovale, d’après la forme de ses feuilles). C’est l’orchidée la plus fréquente d’Alsace, y compris dans le Val de Villé et au Champ du Feu. Elle est néanmoins discrète en raison de sa couleur verte qui ne tranche guère sur l’herbe. Dans les prés et sous-bois du Kaiserstuhl , on en compte des centaines de milliers !
- Orchis militaris (l’Orchis militaire) est une belle fleur aux tons généralement rose vif. Elle a été nommée ainsi, car ses fleurons ont la forme de bonshommes virils et poilus (photos 1-2) coiffés d’un gros casque de soldat. Le pied sera plus ou moins grand selon l’ombre et l’humidité du lieu (très grandes plantes au Taubergiessen). On trouve de très rares pieds albinos (photo 3 , à Bergheim). Militaris est présente en grand nombre dans les deux sites. Sa floraison s’achève précocement en ce début mai.
- Cephalanthera longifolia (la Céphalanthère à longues feuilles) vous est déjà connue de par sa belle station d’Espace Nature à Breitenbach (photos 6-7). Elle est abondante au Liliental. On y trouve également sa proche cousine, Cephalanthera damasonium (la Céphalanthère à grandes fleurs) qui éclot un peu plus tardivement. Ses fleurons sont disposés différemment sur la tige, sont plus grands et de couleur crème – ivoire (photos8-9). Elle est commune au Liliental.
- Anacamptis pyramidalis (l’orchis pyramidal) commence à pointer son nez en tout début de floraison. Elle abonde dans les deux sites. C’est évidemment sa forme générale qui lui vaut son nom (photo 10).
- Orchis simia (l’orchis singe) est rare en Alsace (Sigolsheim , Illfurth) et absente du Bas-Rhin. Elle possède la particularité unique de s’épanouir par le haut et donne naissance à des fleurons en forme de bonshommes efflanqués, dotés de « jambes » et de « bras » très longs, filiformes et souvent tordus, faisant référence au singe atèle (photos 11-12). Elle est fréquente au Kaiserstuhl où nous avons découvert la très rare forme albinos (photo 13).
- Sur la digue du Rhin et à Liliental , on rencontre profusion de Himantoglossum hircinum (l’Orchis bouc en raison de son odeur désagréable), souvent de taille respectable (de 50 cm à 1 m) et à l’air hirsute (photos 14-15-15 bis) en raison de la longueur démesurée de son labelle. On trouvera de temps à autre une forme « viride » = verte (photo 16). Bouc est présente sur la plupart des collines du vignoble alsacien et jusque sur les tombes du cimetière militaire de Sigolsheim !
- Dans une prairie sèche du Lilienthal , mais également sur la digue du Rhin, nous avons trouvé quelques pieds d’Aceras anthropophorum (l’Homme pendu), assez discrète avec sa petite taille et sa couleur vert-jaune. Ses fleurons font effectivement penser à un pendu au visage masqué par une cagoule (photos 17-18). Homme pendu est assez rare en Alsace, toujours pour l’essentiel sur les collines calcaires.
- Avec l’Homme pendu, on trouve sur les prairies du Kaiserstuhl , et même dans certains sous-bois, Neotinea ustulata (l’Orchis brûlé en raison de la couleur marron-noir de ses boutons floraux sommitaux). Elle est aussi présente sur la partie haute, donc plus sèche, de la digue, ainsi que dans notre Val de Villé (photos 19-20).
- Drôle d’orchidée que Neottia nidus-avus (la Néottie nid d’oiseau, en raison de ses racines entremêlées comme les brindilles d’un nid.
- Elle pousse éparse, parfois en touffes, en pleine forêt ou en lisière. Son appareil végétatif tout entier (tige, feuilles atrophiées et fleurs) est de couleur brun clair et totalement dépourvu de chlorophylle. Elle ne synthétise donc pas sa nourriture et vit en parasite sur un champignon souterrain. La plante est dite « mycotrophe ». Nous l’avons trouvée à Lilienthal en bois clair (photos 21-22), elle est probablement présente çà et là dans notre vallée. On veillera toutefois à ne pas la confondre avec l’Orobanche, autre plante parasite de même couleur, assez fréquente sur les talus (photo 23). Un examen attentif ne laisse pourtant pas de doute.
- Toujours en sous-bois, plus rare sur la digue du Rhin, c’est le début de floraison pour les Platanthera dont les deux espèces bifolia et chloranta ne sont différenciées pour l’essentiel que par la forme des loges des pollinies. Cette orchidée (photos 24-25) est fréquente, abondante par exemple au Champ du Feu et au Climont. On connaît également ces deux espèces sous les noms d’Orchis des montagnes et verdâtres.
- Très rare sur un talus ensoleillé de Liliental , Ophrys sphegodes ( = aranifera = araignée) pullule littéralement dans le Taubergiessen , autant sur la digue que dans les prés de fauche (photo 26). Cette espèce est cependant presque exclusivement confinée le long du Rhin dans des sites assez humides.
- Au Taubergiessen , elle voisine en un endroit (au moins) avec Ophrys insectifera (Ophrys mouche), très reconnaissable avec ses deux « antennes » et sa macule (tache) bleuâtre au milieu du labelle (photo27-28). Elle aussi reste relativement rare dans notre région, sur les collines ou digues rhénanes.
- Au Taubergiessen , alors que les floraisons de sphegodes, insectifera et militaris s’achèvent prématurément, démarre la spectaculaire éclosion d’Ophrys fuciflora (en raison de sa ressemblance supposée avec ce gros insecte). C’est certainement l’une des plus esthétiques de par la taille de la fleur, par son périanthe (sépales + pétales) aux couleurs parfois vives (du blanc au rose foncé) et son grand labelle joliment brodé de motifs variés (photos 29-30-31). Elle se complaît autant sur les collines calcaires que sur des prairies maigres de plaine.
- L’exploration du Kaiserstuhl s’est achevée par la découverte d’une jolie station d’Orchis purpurea ( l’Orchis pourpre ), plante de taille parfois spectaculaire (près d’1 m pour un pied quasiment au milieu du sentier). Le labelle, clair et ponctué, est de forme assez variable, mais toujours coiffé d’un imposant casque pourpre foncé (photos 32-33). Purpurea est assez disséminé dans la région et s’hybride facilement, nous y reviendrons.
15 espèces d’orchidées différentes en ce dimanche chaud et ensoleillé… belle récolte, non ? Il n’aura manqué que les Orchis de mai et grenouille, mais elles sont aussi chez nous dans la vallée. À votre tour de partir en chasse…